Inauguré le 15 septembre dernier, le Conseil d’orientation de l’ARES a tenu ce jeudi 26 janvier sa deuxième réunion. Il l’a consacrée à la thématique de « la transition de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur, puis vers la vie active ». Cette thématique est la première d’une série de 20 dont le Conseil s’emparera durant ces prochains mois. Elle recouvre les importantes questions de l’orientation des étudiants, de l’aide à la réussite, de l’échec, de l’adéquation entre les diplômés et le marché du travail. L’ARES a posé trois questions liées à cette thématique au Président du Conseil d’orientation, Marcel Miller, Managing Director d’Alstom Benelux.
Y-a-t il actuellement une bonne adéquation, en Fédération Wallonie-Bruxelles, entre les secteurs dont sortent les diplômés de l’enseignement supérieur et les besoins du marché du travail ?
La réponse est clairement non. Il est criant de constater qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), les besoins du marché de l’emploi ne sont pas suffisamment rencontrés. C’est un vrai problème et l’un des premiers sur lequel va se pencher le Conseil d’orientation de l’ARES.
Par exemple, on limite le nombre de jeunes qui souhaitent étudier la médecine alors qu’en même temps on autorise des jeunes à poursuivre des études au terme desquelles on sait déjà qu’ils trouveront plus difficilement un emploi.
D’un côté, on laisse des jeunes s’engager dans cinq années d’études, parfois même dans un doctorat, alors qu’elles donnent moins facilement accès au travail qu’auparavant ; d’un autre côté, on supprime des filières techniques qui ne comptent pas assez d’étudiants, alors qu’il y a une pénurie de professionnels.
« Nous avons une responsabilité vis-à-vis des jeunes »
Personnellement, je trouve qu’une forme de test pourrait être instaurée à l’entrée de certains cursus qui diplôment trop d’étudiants par rapport aux besoins du marché. Il faudrait « doser » et faire des arbitrages. C’est un sujet délicat, mais nous avons une responsabilité vis-à-vis des jeunes. Les futurs étudiants devraient aussi être encore mieux informés et orientés sur les débouchés et sur les carrières.
Les fédérations professionnelles se battent actuellement pour inciter les jeunes à embrasser la carrière d’ingénieur. Elles organisent environs 80 actions par an pour les attirer vers des métiers scientifiques. À titre de comparaison, en Allemagne, 45 % des jeunes choisissent des matières scientifiques et d’ingénierie. En France, où le polytechnicien est encore très valorisé, 32 %. En FWB, seulement 18 % seulement optent pour cette orientation.
Dans l’industrie, nous ne trouvons pas assez d’ingénieurs en Belgique et nous devons recruter à l’international pour trouver les ressources nécessaires. Nos universités diplôment des étudiants d’excellente qualité, mais malheureusement pas en quantité suffisante.
L'employabilité des diplômés de l'enseignement supérieur passe-t-elle notamment par une coopération accrue entre les établissements d'enseignement supérieur et les entreprises, en particulier par les formations en alternance ?
Les masters en alternance représentent une formule additionnelle qui offre aux jeunes la possibilité d’être rémunérés tout en poursuivant des études universitaires. Ils répondent également au besoin de jeunes qui ne sont pas à l’aise dans une formation purement académique de poursuivre des études. Souvent, ils concernent des formations pour lesquelles il y a des manques sur le marché de l’emploi. Les fédérations professionnelles les ont donc encouragés.
Quand on compare notre système d’enseignement supérieur à celui des pays voisins, on remarque qu’en Allemagne, où la part de l’industrie représente 26 % du PIB, le métier technique est attractif. Les jeunes choisissent des matières scientifiques parce que les employeurs pratiquent la formation en alternance et que ceux-ci sont mobilisés pour les accueillir dès l’âge de 16 ans. La Belgique, où la part de l’industrie représente 14 % du PIB, pourrait s’inspirer du modèle allemand qui fonctionne bien. Mais la développer demande une mobilisation des acteurs de l’enseignement et aussi des entreprises qui doivent être capables de répondre à la demande ainsi créée.
« Rapprocher les mondes de l’enseignement et de l’industrie »
Les fédérations professionnelles travaillent depuis longtemps à rapprocher les mondes de l’enseignement et de l’industrie, et cela pour plusieurs raisons. Comme je l’ai déjà mentionné, l’industrie a des besoins en recrutement technique et scientifique relativement importants et, pour sa recherche et son développement (R&D), elle a besoin du soutien des centres de recherche, des universités et des instituts d’ingénieurs industriels.
Les industries intensives en main d’œuvre sont difficilement compétitives en Belgique, essentiellement parce que les couts salariaux et de l’énergie sont élevés. Ce n’est pas le cas des industries utilisant les nouvelles technologies : le pays est très attractif en matière de support à la R&D grâce aux abattements sur les charges patronales des chercheurs, sur la base taxable de tout ce qui est issu de brevets déposés en Belgique, grâce aussi au Plan Marshall qui rassemble les universités et les entreprises au sein de programmes de recherche. Sans ces mesures-là, nous n’aurions pas aujourd’hui les GSK (GlaxoSmithKline), IBA (Ion Beam Applications), Alstom, etc.
Dès le moment où la FWB bénéficie de ces incitants-là, créer un microréseau « enseignement – recherche – entreprises » générant des produits innovants vaut vraiment la peine. Autant la Belgique est un pays cher pour les « cols bleus », autant elle est attractive pour la R&D.
Le domaine des sciences de l’ingénieur est celui des domaines d’études qui compte le moins de femmes alors que leur nombre est globalement supérieur à celui des hommes dans l’enseignement supérieur. Quelle explication auriez-vous et quelles idées avez-vous pour motiver les jeunes étudiantes à s’engager dans cette filière ?
Il y a trois ans, Agoria et Essenscia ont mené une action de promotion ciblée sur les jeunes filles du secondaire car elles représentent la moitié du potentiel dont les industries auraient besoin. Mais on a constaté que ces campagnes de sensibilisation touchant les jeunes filles de dernière année arrivaient trop tard. Il faut cibler les filles de 14 ou 15 ans.
Manifestement, elles sont attirées par les sciences, mais pas par les sciences appliquées et les métiers d’ingénieur, probablement à cause de l’image que l’on donne encore du métier d’ingénieur. Pourtant, on explique aux jeunes que l’industrie, ce n’est plus des cheminées qui fument et des environnements sales. L’industrie a beaucoup changé. Aujourd’hui, elle est très dématérialisée et peut être aussi propre que des bureaux. Je pense par exemple à l’industrie du cinéma ou du digital.
« On a besoin de gens formés plus que de bras pour fabriquer »
Pour donner un ordre de grandeur, chez Agoria, depuis trois ans, pour la première fois, le nombre des « cols blancs » a dépassé le nombre des « cols bleus ». Aujourd’hui, les grosses productions de masse, à cause des coûts horaires, sont réalisées dans des pays low cost tandis que l’Europe s’oriente vers des activités à plus de valeur ajoutée, vers du « sur-mesure », pour lesquelles on a besoin de gens formés plus que de bras pour fabriquer.
L’enseignement supérieur est donc un élément majeur pour s’adapter à cette tendance-là. Nos universités et nos hautes écoles nous fournissent du personnel de très grande qualité. Le problème n’est pas celui de la qualité, mais celui de la quantité et il se situe en amont, lors du passage du secondaire vers le supérieur, au moment du choix de la carrière.
En FWB, la majeure partie de l’emploi sectoriel est constituée de sociétés à capitaux étrangers. Pour les attirer ou les maintenir, pour que la région soit ou reste attractive – ce qu’elle est en matière de R&D – on pourrait s’orienter vers des technologies à plus grande valeur ajoutée. Mais ceci implique que l’on ait le potentiel de compétences requis.
« Délaisser les processus top-down au profit de modes de travail basés sur le coworking »
L’internet est en train de révolutionner le monde du travail, ce qui a un impact sur la manière dont les ressources humaines sont considérées : on va fonctionner de manière différente, non plus sous la forme d’une entreprise hiérarchisée, mais plutôt dans des systèmes de réseautage. Dans l’enseignement également, il faudra délaisser les processus top-down au profit de modes de travail basés sur le coworking.
Le travail et les collaborations évoluent et les managers « grands chefs », c’est fini : on demande aux patrons d’être des leaders entreprenants et visionnaires, d’animer et de coacher plutôt que d’imposer. Il faut voir, à terme, comment introduire cette évolution dans les formations de manière à mieux utiliser le potentiel immense des jeunes.
Le Conseil d’orientation est l’une des instances de l’ARES. Composé de représentants des milieux socioéconomiques marchands, non marchands, culturels, politiques et scientifiques, il doit apporter à l’ARES une vision extérieure de l’adéquation de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles au monde de l’entreprise, de la recherche scientifique, aux grands enjeux de société ainsi qu’aux réalités de terrain.