Carte blanche publiée sur le site Le Soir le 08/09/2019. L'auteur s'exprime à titre personnel.
La science a montré depuis plus d’un siècle qu’il n’existait pas de procédure d’examen « parfaite ». Ecrit ou oral, questions ouvertes ou fermées, cas pratiques ou théorie… Toute méthode présente avantages et inconvénients.
Dans le cas de l’examen d’entrée en médecine et dentisterie, dont la cinquième édition vient d’avoir lieu, les dix professeurs d’université qui composent son Jury ainsi que la trentaine d’experts qui travaillent à leurs côtés - dont des docimologues faisant autorité dans le domaine - sont très attentifs à l’évolution de l’épreuve et mènent à son égard des analyses et une évaluation permanentes
Dans ce cadre, il est toujours intéressant de recevoir des avis complémentaires comme ceux évoqués dans la presse ces jours-ci et qui, en substance, nous indiquent que l’épreuve de physique serait trop difficile, surtout pour les filles, et que l’épreuve d’empathie ne présentant pas les mêmes résultats d’une édition à l’autre, poserait souci. Du coup, certains franchissent un cap supplémentaire en évoquant des « biais de genre » en défaveur des filles et proposent que des matières soient retirées, voire que l’on n’utilise pas de QCM.
Ce type de réflexions vient évidemment nourrir l’analyse et le travail pour le futur.
Néanmoins, on ne peut guère y adhérer sans réserve. Du moins scientifiquement.
Un des principes cardinaux de la démarche scientifique consiste à distinguer les faits de l’interprétation que l’on donne de ces faits.
Oui, nous constatons au fil des éditions que la physique est une matière difficile. Oui, les garçons ont des résultats légèrement meilleurs. Cela est connu et n’est pas propre à cet examen. Il en va de même des différences entre candidats dentistes et médecins, entre résidents et non-résidents, etc.
Ça, ce sont les faits.
Est-ce pour autant que ces différences peuvent être interprétées comme résultant de biais de mesure ? Certainement pas.
Une différence de performance entre deux groupes, par exemple filles et garçons, n’implique pas nécessairement qu’il y ait un biais. En effet, pour parler d’un biais, il faut que deux individus, de compétences identiques, mais appartenant à des groupes différents, n’aient pas la même probabilité de réussite à un examen.
Ainsi, pour qu’une différence de réussite puisse être considérée comme résultant d’un biais, les groupes doivent, au niveau de la compétence mesurée, présenter la même distribution, c’est-à-dire même moyenne et même variabilité (écart-type). Il faut également que les individus soient extraits de la population selon une procédure aléatoire et simple pour s’assurer de l’équivalence des échantillons. Dans le cadre de l’examen d’entrée, aucune de ces deux conditions n’est remplie et il est dès lors scientifiquement infondé de justifier cette différence de réussite par un biais de mesure.
Pour le dire autrement, le seul fait des hétérogénéités de taille et de caractéristiques entre les deux échantillons considérés, puisqu’il y a toujours deux fois plus de candidates que de candidats à l’examen et un tiers d’entre eux qui provient de l’étranger, n’autorise pas d’avancer qu’il y a un biais.
Et je m’étonne que, dans leurs analyses, certains commentateurs passent sous silence cet élément fondamental.
Récemment, d’autres commentateurs estimaient dans La Libre Belgique que l’examen comprenait des biais de genre, cette fois en faveur des filles. On voit donc bien que les interprétations des mêmes faits peuvent diverger.
On ne peut pas non plus adhérer sans réserve aux recommandations que tirent d’aucuns de ces interprétations. Ce n’est pas parce que l’on constate des résultats plus faibles en physique, ou des différences entre garçons et filles, qu’il faut nécessairement modifier l’épreuve.
Est-ce, par exemple, un scoop que de constater que nos élèves sortants du secondaire ne sont pas tous performants en sciences alors que nous sommes depuis plus de vingt ans sous la moyenne dans toutes les études internationales ?
Ce n’est jamais en cassant le thermomètre que l’on fait baisser la fièvre.
Imaginerait-on appliquer ce raisonnement aux épreuves du CEB ? En ingénieurs civils, à l’École de police ou pour le permis de conduire ?
Le moyen pour ne plus avoir de différences entre des groupes d’évalués, c’est de ne plus rien évaluer du tout.
L’examen d’entrée est une épreuve difficile (seul 1 candidat sur 4 ou 5 réussit) mise en place dans des conditions délicates résultant d’un compromis entre la Communauté française et la Ministre fédérale de la Santé, celle-ci menaçant de ne pas délivrer de numéros Inami aux médecins diplômés de nos facultés si les francophones ne pratiquent pas une sélection à l’entrée des études.
Malgré son degré de difficulté, le nombre de non-résidents que nous formons et qui retournent exercer dans leur pays, la pénurie de médecins dans la partie francophone du pays, les médecins qui viennent de l’étranger pour combler nos besoins médicaux, les 1000 numéros Inami surnuméraires octroyés à la Flandre sur les quinze prochaines années et la clé de répartition défavorable pour les francophones, certains continuent à dire, encore et toujours, qu’il n’y a pas de problème, que nous sommes laxistes et que nous devrions filtrer encore et toujours plus durement à l’entrée.
Le véritable enjeu ici n’est pas tant le genre ou la mesure. Le véritable enjeu, il est là.
Julien Nicaise, Administrateur de l'ARES