Les négociations sur l’avenir de la coopération et de la solidarité internationale entre les partis politiques pressentis pour former un gouvernement fédéral amènent aujourd’hui les établissements d’enseignement supérieur à exprimer leurs préoccupations.
Les mesures envisagées dans le cadre des négociations pour la formation du gouvernement fédéral belge font peser sur la coopération, en particulier académique, une menace grave, voire existentielle. En effet, le transfert (sans budget équivalent) de compétences et responsabilités liées à la Coopération au développement du fédéral vers les entités fédérées mènerait inéluctablement à une fragmentation de la Coopération belge au développement. Si elles sont mises en œuvre, ces mesures conduiront à une dispersion qui ferait perdre à la Belgique sa cohérence, sa visibilité et son efficacité à l’échelle internationale et qui serait désastreuse pour l’image du pays. L’expertise belge des actrices et des acteurs non gouvernementaux de la coopération, acquise de longue date et reconnue internationalement, s’en trouverait fragilisée.
La coopération académique perdrait alors sa place singulière dans le paysage de la Coopération belge au développement où elle agit en complémentarité avec les autres actrices et acteurs de la solidarité internationale.
L’ARES et le VLIR-UOS, les deux fédérations d’établissements d’enseignement supérieur du pays, sont des partenaires essentiels de la Coopération fédérale belge dont elles assurent, de manière concertée, le volet académique.
Une communauté de destins et d’intérêts
Ces deux organisations mettent en œuvre annuellement des centaines de projets de coopération académique dans des pays partenaires de la Coopération belge au développement en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Centrés sur la recherche et la formation dans des secteurs-clés comme la santé, l’éducation, l’agriculture, l’environnement, la démographie, les arts, l’urbanisme, ces projets contribuent pleinement à la réalisation des 17 objectifs de développement durable des Nations-Unies.
Ces défis globaux (sociaux, climatiques, économiques, culturels, sécuritaires…) nécessitent des réponses concertées, mais différenciées et une collaboration accrue entre scientifiques, décideurs nationaux et internationaux, opérateurs économiques et sociaux.
C’est tout le sens de la coopération académique. Elle stimule, à l’échelle internationale, la production de nouvelles connaissances, l’échange et la préservation des savoirs existants. Elle promeut la culture du partage entre scientifiques dont on a mesuré l’importance avec la pandémie de Covid-19.
Sans le financement incitatif de la Coopération belge au développement, il est à craindre que les établissements d’enseignement supérieur recentrent leur coopération internationale avec des partenaires de pays riches, ce qui aggraverait les déséquilibres mondiaux.
La coopération académique, c’est aussi l’accueil annuel de centaines de personnes qui viennent se former dans nos établissements d’enseignement supérieur en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles et qui, de retour chez elles avec un diplôme ou de nouvelles compétences, en font profiter leur institution, leurs collègues, leur communauté scientifique, leur pays.
Plus qu’une dépense, un investissement
Davantage qu’une dépense, la coopération académique est un investissement dans le capital humain. Elle favorise le dialogue interculturel, contribue à l’internationalisation des établissements d’enseignement supérieur et au développement d’un réseau international d’alumni qui est un puissant outil de diplomatie scientifique, politique, économique. Elle participe ainsi au rayonnement de la Belgique dans le monde.
C’est aussi un investissement dans la capacité des individus, des institutions, des pays à réagir de manière autonome, innovante, aux changements de plus en plus rapides de nos sociétés interdépendantes et à développer leurs propres solutions.
Enfin, la coopération académique promeut des valeurs comme la liberté de chercher et d’enseigner, l’autonomie des individus et des institutions, encourage les débats et les échanges régionaux et internationaux et contribue ainsi, en Belgique comme dans les pays partenaires de la Coopération au développement, à des sociétés démocratiques et plurielles.
C’est donc aujourd’hui face à un choix de société que se trouvent les négociateurs de la prochaine coalition fédérale : permettre à la Belgique, à l’instar des 193 états membres de l’ONU, de poursuivre ses engagements dans l’«Agenda 2030» visant une transformation de notre monde et en assurant sa transition vers un développement durable ou fragiliser la capacité de notre pays dans l’atteinte de cet objectif et porter atteinte à sa réputation internationale.
Lettre ouverte signée par le Président Jean-Paul Lambert au nom du Conseil d’administration de l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES), fédération de plus de 120 établissements d’enseignement supérieur francophones (5 universités, 19 hautes écoles, 16 écoles supérieures des arts et 81 établissements d’enseignement supérieur de promotion sociale).